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Brandon conduit, les mains soudées au volant. La caisse se traîne avec une lenteur effroyable. Il irait plus vite en courant. Oui, il irait plus vite que toutes les bagnoles qui l’entourent ! Il le sent, des étincelles d’énergie crépitent au long de ses nerfs. Du feu liquide coule dans ses veines. Ou alors du kérosène.

Même les oiseaux volent au ralenti. Le monde est presque figé, en suspension, en arrêt sur image. Comme dans les dessins animés. Il est la seule créature mobile au milieu d’un univers d’engourdis, de paralysés. Il comprend pourquoi Burly lui a parlé d’élixir de Superman. C’est bien tel que dans la BD : quand Superman file si vite qu’il en devient invisible. Brandon s’arrête à l’entrée de la ville car il ne supporte plus la lenteur de la voiture. Il se met à courir au milieu des statues vivantes encombrant les trottoirs. On dirait réellement des mannequins de cire, c’est dingue ! Il fore un trou dans l’épaisseur de l’air, luttant contre l’obstacle élastique s’opposant à sa pénétration. Au fur et à mesure qu’il accélère, le vent se change en une sorte de mur liquide qui tente de le ralentir. C’est un peu comme s’il essayait de courir au fond de la mer.

Le frottement de l’air est en train d’effacer les motifs floraux imprimés sur sa chemise. Burly avait raison ! Il aurait dû penser à se protéger, mais ce n’est qu’un galop d’essai, rien de plus, pas de panique ! Pourtant il se demande de combien de temps il dispose encore avant que l’étoffe de sa liquette ne prenne feu. N’y a-t-il pas déjà, dans l’air, une odeur de tissu brûlé ?

Il voudrait ralentir, il ne le peut pas, c’est trop grisant. Il slalome entre les touristes. Une mouette chie dans les airs, sa fiente met une éternité à s’écraser sur le capot d’une voiture. C’est comme sur un magnétoscope, lorsqu’on actionne la touche « image par image ». Saccadé, un peu flou. Au bout de la rue, un touriste retire du fric d’un distributeur automatique. Brandon se propulse vers lui et cueille le billet sous son nez, au sortir de la fente. Il le fait si prestement que le type n’a même pas le temps de voir la coupure de 50 dollars disparaître dans les airs. Les mains de Brandon bougent comme des cobras passant à l’attaque, à côté de lui le karatéka le plus rapide du monde aurait l’air d’un paraplégique. Brandon continue à cavaler, il passe entre les voitures qui lambinent sur la rue principale. Les gens sont mous, lents, ils ont du sirop d’érable dans les veines. Brandon est une mouche, il virevolte. Il entre dans une boutique d’objets souvenirs, passe derrière la caisse et pique trois billets de 10 dollars. Personne ne le regarde, il n’existe pas pour eux, il est invisible. Il se déplace sur un autre plan de la réalité. Le super pied !

Il pourrait se permettre n’importe quelle fantaisie même des trucs sexuels s’il voulait ! ils resteraient tous là, pétrifiés, grosses figurines de guimauve, incapables de se défendre.

L’odeur de brûlé devient plus forte. Ce sont les semelles de ses chaussures qui fondent. Il court trop vite. Sa chemise a perdu toutes ses couleurs, usées par le frottement de l’air. Elle commence à roussir. Brandon se dit que ses cheveux vont peut-être s’enflammer eux aussi. Il doit arrêter. Retourner à la voiture et rester immobile le temps de refroidir.

Il a peur, il lui semble qu’il pue le cochon grillé, que les poils sur le dessus de ses mains s’enflamment avec de petits crépitements d’étincelles. Au moment où il va sortir de la ville, il manque de heurter un homme, debout à côté d’une TransAm noire. Un Jaune qui porte des lunettes de soleil à verres miroirs. Il regarde dans la direction de Brandon… comme s’il pouvait le voir, comme s’il était le seul être humain dans toute la ville à pouvoir suivre les évolutions de l’homme invisible. Il porte un veston de lin crème en matière tropicalisée. Il a une peau ivoirine d’Asiatique. Beau mec, les pommettes très saillantes, le nez droit et fin, à la japonaise.

Brandon l’évite d’une pirouette et reprend sa course. L’inconnu se retourne pour le regarder. C’est à n’y rien comprendre. « Je suis invisible pour tout le monde sauf pour ce mec ! » pense-t-il tandis que la panique le gagne.

 

Quand il reprend conscience, il est effondré sur la banquette arrière, le corps ruisselant. Sa chemise n’a pas perdu ses couleurs, ses semelles n’ont pas fondu, mais il a plusieurs billets de banque serrés dans la main droite…

Baignade accompagnée
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